mercredi 3 mai 2017

La fin mystérieuse d’Antonin Dubost

Obsèques d’Antonin Dubost à Paris en 1921 - BnF/Gallica
15 avril 1921, un grand homme politique disparait. Antonin Dubost, président du Sénat durant toute la Première Guerre Mondiale s’éteint à son domicile parisien, 5 rue Dante, à l’âge de 77 ans (1-3). Surnommé le "vieil Allobroge", un dernier hommage républicain lui est rendu à la gare de Lyon avant que le wagon funéraire ne rejoigne La Tour-du-Pin où il est enterré. 

Pied-à-terre de M. Dubost président du Sénat situé 3 place du Champ-de-Mars à La Tour-du-Pin. 
Au balcon de gauche à droite, Antonin Dubost, sa fille unique Geneviève née à Paris en 1887 et sa femme Thérèse Couturier veuve en 1ères noces de Pierre Français.

Né en 1844 (4) à L’Arbresle (Rhône), député puis sénateur de l'Isère, ancien président du Sénat, ancien ministre de la Justice, maire de La Tour-du-Pin durant 43 ans de 1878 à 1921, de nombreux témoignages reconnaissent unanimement son action politique et sa confiance dans la victoire tout au long de la Grande Guerre. Léon Bourgeois, son successeur à la présidence du Sénat, prononce l’éloge funèbre : Que de fois, durant ces quatre années, il fut pour le gouvernement national, le conseiller le plus ferme et le plus énergique, l'adversaire déclaré de toute hésitation et de toute défaillance, le représentant inébranlable de la volonté de vaincre qui animait autour de lui le Sénat tout entier.

Quelques salons de massage à Paris en 1918
Journal humoristique Le Rire.

L’année suivante, de rares quotidiens mentionnent qu’il ne serait pas décédé à son domicile (5), mais après un « massage » dans une maison discrète et accueillante située dans le quartier de Montmartre, au deuxième étage du n°8 de la rue des Martyrs tenue par Miss Ariane (6-8). Certains trouveront qu’une telle mort n’est pas si tragique, après tout un président de la République, Félix Faure, avait subi un sort identique dans un salon du palais de l’Élysée en 1899!

Mais voilà, en mai 1923, un député de Paris, Léon Daudet, fils de l’écrivain Alphonse et rédacteur en chef du quotidien royaliste L’Action française, évoque un scénario plus machiavélique (9) : Antonin Dubost aurait été attiré rue des Martyrs dans une souricière tendue par le directeur des Renseignements généraux, Joseph Dumas. À la suite d’une descente de police imaginaire, le vieil homme aurait été effrayé et une complice lui aurait servi une tasse de thé empoisonnée pour le "réconforter". Joseph Dumas s’était suicidé le 21 avril dans son bureau de la préfecture de police à la suite d’une communication téléphonique d'un de ses subordonnés qui le menaçait de révélations publiques sur l'assassinat d'Antonin Dubost (10). Le mobile de l’assassinat aurait été la vengeance.

Procès Malvy au Sénat en 1918 - BnF/Gallica

En effet, en mai-juin 1917, au moment où le moral de l’armée est au plus bas, où des mutineries apparaissent après la tragédie du Chemin des Dames, Daudet profère de terribles accusations de trahison envers le ministre de l’Intérieur, Louis-Jean Malvy, lui imputant la divulgation de documents secrets de l'armée d'Orient et la connaissance par l'ennemi du plan d'attaque du Chemin des Dames (11). La Haute Cour de justice est constituée au sein du Sénat le 28 novembre 1917 pour permettre la mise en accusation de l’ancien ministre. Le 6 août 1918, elle le reconnaît coupable de forfaiture pour avoir dans l'exercice de ses fonctions, de 1914 à 1917, méconnu, violé et trahi les devoirs de sa charge et le condamne à 5 ans de bannissement, ne retenant cependant pas le crime de trahison (12).

Le président de la Haute Cour de justice qui conduisit les débats avec fermeté et impartialité, jugea et condamna Malvy n’est autre que … Antonin Dubost.

Tombe d’Antonin Dubost à La Tour-du-Pin
Photo de Monique Bonvallet

Rédacteur : Patrick Martin

Sources :
1) Le Figaro, édition du 16.04.1921. BnF/Gallica : bpt6k2928208/f1
2) L'Action française, édition du 16.04.1921. BnF/Gallica : bpt6k760827p/f3
3) La Lanterne, édition du 20.04.1921. BnF/Gallica : bpt6k75116505/f2
4) Et non en 1842 comme mentionné sur le site de l’Assemblée Nationale.
5) Les Potins de Paris, édition du 21.07.1922. BnF/Gallica : bpt6k55547823/f7
6) La Vie parisienne, édition du 22.09.1917. BnF/Gallica : bpt6k1254967j/f20
7) Le Rire : journal humoristique, édition du 16.03.1918. BnF/Gallica : bpt6k63079948/f10
8) Jazz : a flippant magazine, édition du 01.09.1924. BnF/Gallica : bpt6k6364987v/f14
9) L'Action française, éditions du 04.05.1923, 29.08.1923, 19.11.1923, 12.07.1924, 16.07.1924, 24.10.1924, 24.12.1928, 30.03.1929, 25.09.1929.
10) Officiellement Joseph Dumas succombe à une congestion cérébrale. Journal des débats politiques et littéraires, édition du 22.04.1923. BnF/Gallica : bpt6k490395w/f4
11) Le Sénat, Haute Cour de Justice sous la IIIe République : l'affaire Malvy (1918) : https://www.senat.fr/evenement/archives/D40/malvy1.html
12) Lettre de M. le président du Sénat à M. le président de la Chambre des députés. BnF/Gallica : bpt6k6484067s

1 commentaire:

  1. Aux rédacteurs de cette note : des erreurs regrettables figurent pour les identités qu'il conviendrait de corriger illustrant la 2ème photographie (La Tour du Pin) :
    Sa fille unique s'appelait en fait Germaine (+1963) et sa femme, Thérèse Couturier (+1918) était veuve du Dr Elisée Français, Professeur à la faculté de médecine de LYON et l'un des premiers médecins légistes de France.
    CQFD Merci de rectifier !

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